13 novembre 2012

Parution de la biographie de Fernand Loriot (1870-1932)

Ma biographie de Fernand Loriot vient de paraître :
http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=38904
Julien Chuzeville, Fernand Loriot, le fondateur oublié du Parti communiste, Editions L'Harmattan, collection Historiques - série "Travaux", Paris, 2012. 237 pages, ISBN 978-2-336-00119-7.


Fernand Loriot (1870-1932) est le principal fondateur du Parti communiste. Il était le premier signataire de la motion fondatrice du PC, qui remporta une large majorité au Congrès socialiste de Tours en décembre 1920.
Instituteur, militant socialiste, syndicaliste révolutionnaire, il fut l'un des principaux organisateurs du mouvement pacifiste en France pendant la guerre de 1914-1918. La presse le décrivait comme le « leader des révolutionnaires » pendant la grève générale de mai 1920. Il est pourtant aujourd'hui tombé dans l'oubli. Cela est en partie dû à son attitude d'opposant interne en 1924-1926 puis à sa rupture avec le PC en 1926, et à sa dénonciation précoce de la dictature stalinienne.
De la lutte contre la Première Guerre mondiale à la lutte contre le stalinisme, on retrouve toujours Fernand Loriot au premier plan. Quatre-vingts ans après sa mort, un ouvrage lui est pour la première fois consacré. C'est aussi un éclairage inédit sur les luttes sociales et l'histoire politique des décennies 1910-1920, et une contribution à l'histoire du syndicalisme, du socialisme, du pacifisme et du communisme.



Sommaire :

I : Un instituteur socialiste et syndicaliste
Au Syndicat des Instituteurs de la Seine

II : Contre la guerre
Le Comité pour la reprise des relations internationales
Printemps 1917, lueurs dans la nuit
Renversement de majorité à la SFIO
Berne, à la croisée des chemins

III : Pour la révolution
Le Congrès socialiste de Strasbourg
La transformation de la SFIO en SFIC
Le Congrès communiste de Marseille
Divisions sur le front unique
Repli provisoire

IV : Communiste oppositionnel
Opposition à l'intérieur du parti communiste
Opposition communiste à l'extérieur du parti
Pour l'unification syndicale

V : Conclusion

Annexes
1 : Illustrations
2 : Note nécrologique sur Fernand Loriot, par B. Souvarine
3 : La scission socialiste
4 : Les courants lors des congrès de la SFIO de 1915 à 1920
5 : La scission syndicale
6 : La lettre des 80 de l'opposition communiste (1925)
Bibliographie et sources


Recensions du livre :
* Archives communistes, décembre 2012 (également reproduite dans les Cahiers du mouvement ouvrier, mars 2013).
* Article 11, janvier 2013 (traduction en italien dans la Bataille socialiste, janvier 2013, traduction en portugais dans Vias de facto, février 2013, et traduction en persan dans Praxies.org, août 2013).
* L'Ours, février 2013.
* Lectures, février 2013 : [lire en ligne].
* Dissidences, février 2013.
* La Quinzaine littéraire, février 2013 (également reproduite dans les Cahiers du mouvement ouvrier, mars 2013).
* Courant alternatif, mai 2013 : [lire en ligne].
* Cahiers Jaurès, novembre 2013.
* Cahiers d'histoire, mai 2014.


"M. Loriot leader des révolutionnaires est arrêté" (7 mai 1920)





Fernand Loriot au Congrès de Marseille du Parti communiste SFIC (décembre 1921).


Loriot candidat du Parti socialiste SFIC aux élections législatives partielles du 27 février 1921
Le journal féministe socialiste La Voix des Femmes du 24 février 1921, appelant à "faire voter" pour Loriot et Souvarine, candidats du "seul parti dans lequel la femme est l'égale de l'homme".
Les premiers signataires de la motion Loriot-Souvarine de novembre 1920, dont l'adoption au congrès de Tours entraîna la transformation de la SFIO en SFIC (puis PC).

30 octobre 2012

Extrait des Mémoires de Marcel Ollivier

Dans ma biographie de Fernand Loriot, je fais rapidement référence dans une note à un extrait des Mémoires de Marcel Ollivier (qui avait participé au IIe congrès de l'Internationale communiste, en 1920). Marcel Ollivier, de son vrai nom Aron Goldenberg, donna à ce texte les titres successifs Un bolchevik dangereux puis La Chimère. Comme ce passage est (à ma connaissance) inédit, je le donne ici à titre de document :

« Il y avait d'autres Français arrivés pendant le congrès, et dont il me faut parler maintenant. C'était, outre Madeleine Marx, la fille de l'écrivain et critique d'art Henry Marx, qui épousa plus tard l'avocat Maurice Paz, et l'anarchiste Colomer, les syndicalistes Vergeat et Lepetit. Ils se trouvaient là en mission d'information pour le compte de leurs organisations respectives. J'eus l'occasion de les rencontrer à plusieurs reprises et de m'entretenir avec eux, ce qui me permet de rétablir ce que je crois être la vérité au sujet des rumeurs qu'a fait courir leur mort tragique. Certains ont prétendu en effet qu'ils avaient été supprimés au cours de leur voyage de retour parce qu'ils s'apprêtaient à dénoncer le nouveau régime. Je me dois d'opposer à cette allégation un démenti formel.

De convictions très fermes, mais d'esprit pondéré, Vergeat et Lepetit étaient de ces militants ouvriers lucides et courageux, dont des hommes comme Dumoulin, Merrheim, Monatte et Rosmer offraient de parfaits modèles. Si leur visite en Russie, les enquêtes auxquelles ils se livrèrent, les avaient amenés à une attitude d'hostilité à l'égard du régime tel qu'il fonctionnait alors - et Dieu sait s'il offrait matière à critiques ! - ils l'eussent manifesté d'une manière ou d'une autre. Or, s'il est exact qu'en tant que syndicalistes ils faisaient des réserves sur le rôle que dans ce régime l'Etat attribuait aux syndicats en tant qu'organes du pouvoir, donc subordonnés à ce dernier, ils n'en considéraient pas moins avec sympathie les efforts réalisés par les bolcheviks pour inscrire dans les faits l'idéal socialiste. Qu'ils fussent d'accord avec les méthodes adoptées par ces derniers, on peut en douter, mais ce que je puis affirmer, c'est que jamais, au cours des entretiens que j'eus avec eux, ils ne se montrèrent hostiles au régime. Au contraire. Sur ce point, je fais appel au témoignage de Rosmer, dont on sait trop l'honnêteté pour que l'on puisse le mettre en doute. Plus proche d'eux que je ne l'étais moi-même, il put recueillir leurs impressions pour ainsi dire au jour le jour, et son témoignage concorde avec le mien : c'est en amis et non en ennemis que Vergeat et Lepetit entreprirent le voyage qui devait les ramener en France. (Témoignage confirmé par les lettres qu'ils envoyèrent en France au cours de leur séjour en Russie et par celui de Pierre Pascal qui les accompagna jusqu'au moment de leur départ.)

Il est donc stupide de prétendre que les dirigeants soviétiques avaient des raisons quelconques de les supprimer. A ces dirigeants, j'ai moi-même trop de reproches à faire pour ne pas m'inscrire en faux contre une accusation que rien, absolument rien, ne justifie.
Qu'on ne dise pas : ces réserves que faisaient Vergeat et Lepetit n'étaient-elles pas un motif suffisant pour amener les bolcheviks à les supprimer ? Elles pouvaient éloigner bien des sympathisants et confirmer les opposants dans leur attitude d'hostilité. Or, les bolcheviks ont fait la preuve que rien ne les arrête quand il s'agit d'éliminer, non seulement un adversaire, mais un ami douteux.
A cela je répondrai : les bolcheviks, à cette époque, savaient parfaitement faire la distinction entre un adversaire déterminé et un sympathisant en désaccord avec eux sur certains points.
S'ils n'avaient aucun scrupule à se débarrasser du premier, ils respectaient et ménageaient ce dernier, qu'ils s'efforçaient de convaincre. Surtout s'agissant de syndicalistes étrangers comme Vergeat, Lepetit et d'autres, sur lesquels, à tort ou à raison, ils fondaient les plus grands espoirs. Ne disaient-ils pas que, sujets à l'erreur comme tout le monde, ils admettaient qu'on le critiquât ? Un jour viendrait, bien sûr, où ils changeraient d'avis et verraient dans la moindre réserve, la plus petite réticence, une trahison qu'il convenait de châtier comme telle, sans attendre au besoin qu'elle se manifestât. A l'époque dont je parle, on n'en était pas là.
D'autant qu'au cours de ce voyage d'où ils ne revinrent jamais, Vergeat et Lepetit avaient pour compagnon un communiste cent pour cent : Raymond Lefebvre, partisan convaincu du régime bolchevik, il militait depuis des années dans les rangs de l'extrême-gauche, dont il était, avec son ami Paul Vaillant-Couturier, l'un des orateurs les plus écoutés. Son séjour en Russie n'avait diminué en rien son enthousiasme.
Certes, il voyait comme nous les défauts du régime, mais comme nous, il les imputait aux circonstances dans lesquelles ce régime avait pris naissance et pensait qu'avec le temps ils disparaîtraient. Jusqu'où serait-il allé s'il avait vécu plus longtemps ? Aurait-il suivi Monatte, Louzon et autres minoritaires de la C.G.T. avec lesquels il avait milité pendant la guerre, dans leur rupture avec le P.C., ou serait-il devenu comme son ami Paul Vaillant-Couturier, un stalinien cent pour cent ? Ce qui est certain, c'est qu'au cours de cet automne 1920 où je le vis pour la dernière fois, il s'apprêtait à rentrer en France pour participer à la campagne en vue de l'adhésion du parti socialiste à l'Internationale nouvelle. Son intelligence, sa culture et ses dons d'orateur, que déparait à peine un soupçon de vanité (il aimait s'entendre parler et paraissait très fier de l'ampleur de sa voix) en faisaient pour les bolcheviks un allié précieux. Même dans l'hypothèse où Vergeat et Lepetit eussent été des adversaires dont on aurait voulu se débarrasser, penser qu'on l'aurait sacrifié, lui aussi, par dessus le marché pour ainsi dire, parce qu'il se trouvait avec eux, est le comble de l'absurde.

La vérité, la voici : pressés de rentrer en France après un séjour en Russie qui se prolongeait trop à leur gré, Vergeat, Lepetit et Lefebvre avaient décidé, toute autre voie paraissant pour le moment impraticable, de partir par la Norvège. De Mourmansk, sur la côte septentrionale, un bateau devait les amener à Vardoe, petit port de pêche situé à l'extrême pointe du continent.
Or, on était déjà en novembre, une saison très avancée pour la région, et à leur arrivée à Mourmansk une violente tempête sévissait sur l'océan Glacial Arctique. On leur conseilla d'attendre pour partir que le beau temps fût revenu, mais en dépit de toute prudence et - qui sait ? - en profitant peut-être d'une accalmie, ils décidèrent de s'embarquer. Et ce qui devait arriver arriva : leur bateau, une véritable coque de noix fut englouti dans la tempête. C'est à Kharkov, à mon retour de Crimée, que j'appris la nouvelle. Elle me frappa d'autant plus que j'aurais dû être du voyage, car on m'avait inscrit pour partir avec eux. Seul mon départ en Crimée, derrière l'armée lancée contre Wrangel, m'évita le sort qui fut le leur. »



A la demande de la petite -fille de François Mayoux, j'ajoute les éléments suivants :




Extrait des Mémoires de François Mayoux

           "C’est à Saint-Etienne que je rencontrai Armando Borghi, secrétaire de la C.G.T. italienne. Il y fit un excellent discours que les communistes présents dans la salle et leurs agents en France préférèrent ne pas relever. C’est que Borghi, ébloui par ce qu’il avait vu en Russie en 1920, se déclara d’accord avec la politique syndicale russe. Mais il ne tarda pas à se ressaisir puisque moins de deux ans après il était adversaire résolu de l’esclavagisme bolchevik. C’est après avoir entendu Borghi dire à la tribune du congrès que les Russes l’avaient fait retourner en Italie par l’Allemagne en lui disant : « Tu es Lepetit », que j’envisageai comme à peu près établie la responsabilité du gouvernement russe dans la mort de Lepetit, Vergeat et Lefebvre."   (p 258)

           
Témoignage de Borghi
"Extraits du compte rendu du 1er congrès de la CGTU tenu à Saint-Etienne du 25 juin au 1er juillet 1922.

P 302 :
Borghi (…) Je connais d’autres difficultés pour revenir de Russie. Les camarades Lepetit et Vergeat n’ont pas pu revenir en Europe. (Applaudissements)
Je connais Lepetit et Vergeat ; je les ai rencontrés à Moscou, à la veille de mon départ ; je sais qu’il n’y a pas de billet de sûreté, même en Russie. Je prie les camarades de bien prendre note de ce que je vais dire. Lorsque je suis parti de Moscou, on m’a dit : « Borghi, vous allez partir ; avec ces papiers vous pourrez justifier votre faux nom ; vous vous appelez, pour le territoire de Russie : Lepetit. » (Applaudissements)
Un délégué : Il faut le prouver.
Borghi : S’il faut le prouver, il faut prouver tout ce que vous dites ; pour mon compte, j’estime que ma parole suffit.

P 306 :
Borghi : (…) En Russie, il y avait déjà beaucoup de camarades ; il y avait Lepetit, Vergeat, d’autres français dont je ne me rappelle plus les noms.
Un délégué : Raymond Lefebvre.
Borghi : Il y avait des camarades d’Espagne, des camarades d’Allemagne, d’Amérique.
Oui, il y avait Raymond Lefebvre, mais je parle surtout des syndicalistes ; Raymond Lefebvre était communiste.
J’ai parlé avec eux.
(…) Raymond Lefebvre était très enthousiaste, quand il parlait de la Révolution russe.
Mais Vergeat et Lepetit n’étaient pas dans le même état d’esprit. Quand je les ai vus, ils revenaient d’Ukraine ; ils avaient assisté au mouvement même de Makhno.
Je vous assure que Lepetit et Vergeat n’étaient pas dans le même état d’esprit et qu’ils disaient que, revenus en France, ils ne pourraient pas cacher la vérité.
Nous dirons tout : nous dirons qu’ici on ne peut pas prendre d’échantillon d’idées pour les appliquer en France. Nous dirons qu’ici le mouvement est arrêté par le gouvernement, parce que les camarades qui veulent tenter l’expérience du syndicalisme, les  camarades qui veulent commencer à démêler l’armature de guerre, ces camarades sont considérés comme des contre-révolutionnaires."


Notes de lecture de François Mayoux à propos du livre d’Alfred Rosmer Moscou sous Lénine (datées de 1962 et publiées en annexe des Mémoires, p 322)

"La mort de Lepetit.  Rosmer écrit (page 132) : « Le congrès était déjà commencé quand arrivèrent trois Français, connus chacun pour son sérieux et sa valeur. Journaliste et écrivain de talent Raymond Lefebvre était acquis au communisme. Vergeat, ouvrier mécanicien, était syndicaliste ; Lepetit, du syndicat des Terrassiers était anarchiste : le choix avait été excellent et cette délégation, petite par le nombre, était bien représentative des tendances présentes du mouvement ouvrier français. Raymond Lefebvre était le plus enthousiaste … Vergeat, par tempérament et du fait qu’il restait hors du parti était le plus réservé … Des trois, Lepetit était naturellement le plus critique … »
« Ils étaient tous trois impatients de rentrer en France pour y reprendre leur activité de militants. A cette époque le chemin du retour était via Mourmansk, d’où les bateaux se dirigeaient vers les ports de l’Occident. Quand ils arrivèrent à Mourmansk, une tempête sévissait, la mer était démontée. Cependant un bateau partait, ils s’embarquèrent. Depuis on était sans nouvelles, et ce qui causait les plus vives inquiétudes c’est que des délégués partis de Mourmansk après eux étaient arrivés à Paris … Il fallut se résigner à leur  disparition. »
Et voilà !
Chose curieuse, nous avons trouvé la même présentation des faits dans Mémoires d’un révolutionnaire, de Victor Serge. C’était la thèse officielle. Elle m’est suspecte.
J’ignore par où sont repartis Cachin et Frossard qui, à la même époque, revinrent sains et saufs de Moscou. Frossard assistait au congrès de la CGT à Orléans (1920) où il faisait les affaires des Soviets avec un enthousiasme de chien battu.
Mais je sais deux autres cas où Mourmansk ne joua aucun rôle au grand bénéfice des intéressés.
1 – Mauricius. Militant anarchiste, il fonda Ce qu’il faut dire… avec Sébastien Faure, pendant la guerre 14-18. Il fut si suspect aux Russes qu’ils l’emprisonnèrent. Lepetit, par ses démarches, le fit libérer. Et, sorti de prison, il revint en France, après un voyage mouvementé surtout hors de Russie. Il a conté cela dans un livre que j’ai lu. Il doit d’ailleurs être encore en vie.
2 – Armando Borghi. En 1920, Borghi, militant syndicaliste italien connu, qui avait alors le physique mais non l’âme domestique d’un Jouhaux, en plus jeune, était cent pour cent pour les Soviets. Aussi revint-il dans son pays sans aller faire le grand tour par Mourmansk. En 1922, Borghi combattait la politique liberticide des Russes. Au congrès de la C.G.T.U. il intervint vigoureusement. Au cours de son éloquent exposé, il déclara au sujet de Lepetit : « Les Russes m’ont dit : Borghi, tu seras Lepetit pour le territoire de la Russie ». Et il revint par l’Allemagne. Ce qui prouve à l’évidence que Lepetit et ses compagnons de naufrage n’avaient pas besoin de passer par Mourmansk.

Quand le militant italien fit cette sensationnelle révélation, les agents russes étaient nombreux à Saint-Etienne. Aucun ne pipa mot. On sait se taire quand il le faut.
Jusqu’à ce moment là, j’étais troublé par la disparition de Lepetit que j’avais connu pendant plusieurs mois à Clairvaux et dont j’avais apprécié le caractère. Mais en entendant Borghi, j’ai été persuadé que les Russes s’étaient assez tortueusement débarrassés d’un gêneur – parce qu’ils n’ont pas osé le dépouiller de ses notes de voyage, ont dit certains camarades.
Lepetit, que Rosmer étiquette anarchiste, était en réalité anarcho-syndicaliste. J’ai assez discuté avec lui et les autres détenus pour être sûr de mon fait sur ce point."
 






4 septembre 2012

Le Comité de la 3e Internationale (1919-1921)

Le Comité de la 3e Internationale est une organisation méconnue, dont le rôle a pourtant été majeur. Même son nom est souvent écrit avec erreur, y compris dans des ouvrages universitaires : son nom réel a toujours été Comité de la 3e Internationale (d'où le sigle C3I), parfois écrit Comité de la IIIe Internationale ou Comité de la Troisième Internationale. Les appellations erronées que l'on rencontre parfois sont : "Comité pour la 3e Internationale", "Comité pour la IIIe Internationale", "Comité pour la Troisième Internationale", "Comité pour l'adhésion à la IIIe Internationale", ou "Comité pour l'adhésion à la Troisième Internationale".

D'où vient le Comité de la 3e Internationale ? C'est au départ un simple changement de nom du Comité pour la reprise des relations internationales (CRRI), décidé lors de sa réunion du 8 mai 1919. Le Comité se revendique du "socialisme révolutionnaire" et de "la démocratie prolétarienne". Comme son nom l'indique, le Comité est membre de la Troisième Internationale (ou Internationale communiste), dont il est la section en France (le CRRI avait voté son adhésion à l'IC dès le 17 avril 1919). Le secrétaire du Comité reste celui du CRRI, Fernand Loriot, par la suite assisté de Pierre Monatte et Boris Souvarine. Comme le CRRI, le C3I est composé de militants internationalistes, s'étant opposés à la guerre mondiale, qu'ils soient socialistes, syndicalistes révolutionnaires, ou anarchistes. Ses militants s'expriment en particulier dans La Vie ouvrière et le Bulletin communiste (ce dernier étant fondé début 1920).

En pratique, le Comité de la 3e Internationale joue un rôle majeur dans l'animation de la minorité révolutionnaire dans la CGT, et pour l'adhésion du Parti socialiste SFIO à l'Internationale communiste. Des motions Loriot en ce sens sont présentées à plusieurs reprises, pour finir par l'emporter en décembre 1920 lors du congrès de Tours. Le Parti socialiste SFIO devient alors le Parti socialiste SFIC, puis le Parti communiste SFIC (Section française de l'Internationale communiste).

Estimant sa tâche accomplie, le Comité de la 3e Internationale s'auto-dissout en novembre 1921. L'action de ses militants se poursuit par la suite, sous différentes formes, notamment dans les courants anti-staliniens du mouvement ouvrier syndical et politique (voir mon livre Un Court moment révolutionnaire, la création du Parti communiste en France, ou encore cet article : "Boris Souvarine, un itinéraire communiste collectif"). 




7 juillet 2012

Les socialistes face à la censure de guerre… même après la guerre


Dès août 1914, une censure sévère avait été mise en place : quasiment tous les journaux l'ont subie à un moment ou un autre. L'Humanité, ralliée à l'Union sacrée, ne fut pas extrêmement censurée même si le total des interventions de la censure sur la durée de la guerre est significatif1.
C'est par la suite, avec l'apparition d'organes nationaux d'inspiration pacifiste – à partir de 1916 –, que des socialistes et des libertaires eurent à subir le plus durement la censure.

L'Humanité du 2 août 1914.


Il n'y eut pas que les journaux qui furent censurés : les réunions publiques étaient interdites (même des réunions « privées » subirent le même sort), des tracts étaient interdits et saisis, et les correspondances surveillées. Même des cartes postales anodines étaient considérées comme de la « propagande pacifiste », et en conséquence interdites.

Carte postale interdite en 1915 comme « propagande pacifiste ».


L’apparition en 1916 de la revue hebdomadaire Le Populaire marque une date importante quant à la situation des socialistes face à la censure pendant la Première Guerre mondiale. D'orientation « pacifiste modérée », Le Populaire fut largement censuré – même s'il ne représentait pas l'aile la plus radicale des socialistes pacifistes, qui animaient pour leur part le Comité pour la reprise des relations internationales (CRRI, partisan de la Conférence de Zimmerwald) avec des syndicalistes et des libertaires.
Le CRRI ne disposait pas d'une presse, bien que le projet ait été plusieurs fois envisagé. Mais ses brochures et tracts, diffusés sans autorisation, étaient régulièrement saisis.

Conclusion d'un tract du Comité pour la reprise des relations internationales (printemps 1917).



La censure ne disparut pas après l'armistice du 11 novembre 1918. Le Parti socialiste SFIO avait changé de direction en octobre 1918, les pacifistes ayant emporté la majorité lors du congrès. Dès lors les pacifistes dirigeaient l'organisation, et la censure continua de s'exercer contre eux pendant une année.
Après plus de quatre années d'une censure de guerre rigoureuse, cette censure politique limitait l'information des militants et sympathisants socialistes, par exemple sur les mouvements révolutionnaires en cours en Europe.

Le Populaire censuré en décembre 1918 :
le programme de la Ligue Spartacus (révolutionnaires d'Allemagne)
est intégralement « blanchi ».


La censure de 1914 à 1919 a été diversement subie par les socialistes, en fonction de leur attitude face à la guerre et à l'Union sacrée. Elle a en tout cas été un fait marquant de la situation politique et sociale de cette période2.


1 Cf Alexandre Courban, « L’Humanité dans la mêlée (1914-1918) », Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique, 92 | 2003.
2 Claude Bellanger, Jacques Godechot, Pierre Guiral et Fernand Terrou (dir.), Histoire générale de la presse française, tome III : de 1871 à 1940, PUF, 1972 ; Maurice Rajsfus, La Censure militaire et policière (1914-1918), Le Cherche Midi, 1999, etc.
Certains aspects rapidement esquissés ici seront développés dans ma biographie politique de Fernand Loriot

Voir aussi : « La continuation de la censure après l'armistice de 1918 », Retronews, 6 novembre 2018, et « Quelques éléments sur la 6e section SFIO du département de la Seine, 1909-1916 », Cahiers Jaurès n° 225, juillet-septembre 2017.